ACP Pratique et recherche N°16

ACP Pratique et recherche N°16

Commencer une psychothérapie, c’est vraisemblablement aller au-devant de grands changements, pour soi et dans sa vie. Mais c’est en même temps rester soi, avec ses caractéristiques, ses qualités et ses défauts, sa « couleur » personnelle, ses points forts et ses points faibles. Changer ne veut pas dire devenir quelqu’un d’autre ni éliminer ce qui, en soi, ne nous convient pas. Cela veut dire devenir plus connaissant de soi-même, plus apte à franchir ses obstacles personnels. «Solutionner », dénouer ses blocages, ce n’est pas en éliminer les ingrédients premiers ; évoluer, c’est plutôt devenir capable de faire autre chose avec ce que nous sommes, en restant la même personne, en gardant le même tempérament.

La question du changement s’applique également à la démarche en relation d’aide qu’est l’Approche centrée sur la personne. Les énoncés élaborés au milieu du siècle dernier sont-ils toujours valables ? Correspondent-ils encore à l’actualité ? Là aussi, la réponse est double. Elle est positive en ce qui concerne les fondements, qui restent les mêmes. Ainsi en est-il de «l’hypothèse que tous les êtres humains ont un pouvoir personnel inné » (p. 6), qui mène à une pratique visant à mobiliser les capacités de croissance personnelle, dans le respect du droit à l’autodétermination et du choix personnel profond. En cela, « l’engagement d’aider les clients sans léser leur pouvoir personnel fait des thérapeutes centrés sur la personne des thérapeutes uniques » (p. 6). Cette unicité, cette spécificité est à préserver, car elle touche à une philosophie de la personne et à une pratique de la relation d’aide d’autant plus précieuses que minoritaires.

La réponse est plus nuancée dès que l’on prend en compte l’évolution sociétale et l’adaptation qui en découle. À ce niveau, il ne s’agit plus guère des caractéristiques intrinsèques, mais de l’environnement. Ainsi le counselling, parent proche de la psychothérapie dont le concept n’a guère dépassé les frontières du monde anglo-saxon, est-il peut-être une réponse actuelle aux questions d’une humanité en mouvement, par sa capacité « à faciliter un apprentissage pour la personne concernée et à l’aider dans la recherche d’une voie […], à faciliter chez elle la conscientisation de ce qui constitue un processus adéquat d’interaction avec son univers existentiel» (p. 67). Dans cette optique, il ne s’agit pas de soigner une personne malade, mais d’accompagner et soutenir vers un mieux-être et un fonctionnement plus constructif.

Les applications de la psychothérapie centrée sur la personne aux groupes à but thérapeutique ou aux familles font aussi partie des adaptations à l’évolution de nos sociétés. Il est alors nécessaire d’explorer de nouvelles formes de pratiques, de tâtonner, de faire émerger de nouvelles perspectives : «on peut distinguer huit conceptions différentes. Bien qu’elles soient toutes issues du ‘paradigme’ de l’Approche centrée sur la personne, leurs points de départ font montre à certains égards de différences considérables » (p. 37). En thérapie familiale, la pratique prendra des formes différentes afin de rester en adéquation avec ce contexte particulier. Par moments, « aussi nondirective que puisse être l’orientation de base, le counsellor devrait donner clairement et de manière directive de l’espace mutuel à chacun des points de vue de manière impartiale, car cela protège l’enfant avant tout » (p. 51).

Cette adaptation-là ne dit pas si la démarche a changé d’identité profonde. «L’attitude non-directive se réfère aux attitudes ressenties de respect, de confiance aux valeurs démocratiques et égalitaires, à la valeur de liberté » (p. 14), elle relève d’une intégration personnelle et peut exister sous différentes formes, dans différents contextes. À l’inverse, si son intégration n’est pas réalisée, les fondamentaux de l’Approche centrée sur la personne ne seront pas tous présents et on se trouvera en dehors de son cadre philosophique. Dans ce cas, il ne s’agira pas de changement au sens d’évolution, mais d’autre chose, d’une autre identité, qu’il convient de nommer autrement.

Connaître et assumer son identité, être de ce fait installé dans ses racines est sans doute le meilleur moyen de se faire reconnaître par ses pairs, comme en Belgique, où « le Conseil Supérieur de l’Hygiène retient provisoirement quatre approches […] [dont] la psychothérapie à orientation expérientielle et centrée sur la personne » (p. 77). L’intégration des attitudes de l’Approche centrée sur la personne fera sortir des sentiers battus et demandera de pouvoir conserver son intégrité, même à contre-courant. C’est au travers de cette exigence que l’on pourra peut-être toucher au coeur de l’être : « le processus thérapeutique serait ce moment interpersonnel qui active les composantes de la Tendance Actualisante par ailleurs préservées » (p. 29).

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