ACP Pratique et recherche n°21

ACP Pratique et recherche n°21

Ceux qui ont l’expérience de séances de psychothérapie centrée sur la personne, que ce soit en tant que client ou en tant que thérapeute, ont souvent pu réaliser à quel point leur corps participait de la démarche. Cela se traduit de diverses manières, y compris par le sentiment d’avoir effectué, en une séance, un effort physique intense – accompagné d’ailleurs du fait d’avoir réellement transpiré. Si l’importance du non verbal dans la communication est généralement admise, la manière dont le corps participe de l’écoute a été fort peu décrite. Au moment de l’aborder, il semble que nous manquions de mots précis. Nous pouvons alors en être réduits, par exemple, à parler de « sentir en mode corporel-affectif » pour tenter de décrire le processus de perception dans son corps qui « fait partie intégrante de la relation du thérapeute avec un client » et « est répété encore et encore au cours d’une séance » (p. 35).

Bien que nous l’expérimentions, cette dimension corporelle nous échappe. Ou, plus exactement, elle échappe au besoin de maîtrise mentale que nous avons si fortement, tant au niveau individuel que collectif, mais qui semble nous limiter dans de nombreux domaines, dont celui de la connaissance de soi. Il se peut que nous ayons encore fort peu intégré ce que Carl Rogers relevait lorsqu’il parlait de « faire confiance à son expérience » et que nous en soyons encore aux balbutiements du contact avec soi. Face à la nouveauté, à la sollicitation de l’inconnu, nous sommes souvent pris au dépourvu, ne sachant trop où nous raccrocher. Peut-être est-il juste d’« attribuer cette difficulté à l’éducation que nous recevons tous […], qui nous incite à chercher conseils et direction à l’extérieur de soi » (p. 21). Et si nous ne voulons pas en rester là, nous nous retrouvons face au « vrai défi pour chacun de nous, en tant qu’individus, de penser, de ressentir, de nous exprimer, de contribuer à la réflexion et à la volonté collectives » (p. 22).

La question est alors de savoir si nous aurons le courage et la volonté de changer. De constater que quelque chose ne va pas et de ne pas nous le cacher, mais d’avancer avec, de lutter, jusqu’à ce que nous trouvions une nouvelle route. « En tout cas, cet abandon a été, d’un point de vue purement personnel, un des efforts les plus difficiles que j’aie eu à fournir dans ma toute jeune carrière » (p. 56). Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons nous renouveler et ouvrir de nouveaux espaces, satisfaisants tant intérieurement que sur le plan extérieur. Cela est valable aussi bien au niveau personnel que collectif et n’a pas d’autres limites que celles que nous y mettons. « Toute modalité d’apprendre innovante a besoin de diversité pour trouver des solutions créatives. Ce qu’elle ne peut tolérer […], c’est la mauvaise volonté. C’est une entreprise de coopération subtile ». Mais nous ne faisons pas toujours « preuve de l’humilité nécessaire à la poursuite d’une solution » (p. 80) !

Dans un rôle d’expert ou de pouvoir, comme nous en avons tous à certains moments (professionnellement, ou simplement par rapport à des enfants), « le simple fait de se réclamer de l’Approche centrée sur la personne – et de tenter sincèrement de l’appliquer – bouleverse déjà en soi la rencontre : elle devient alors horizontale en reconsidérant la personne en face et en lui rendant une part d’humain et un rôle actif » (p. 54). Mais cela ne passe pas sans une remise en question de nos propres références. Quitter ce que nous maîtrisons pour ouvrir à la découverte d’autres potentiels en soi ne peut se faire sans moments de déstabilisation. Et cela concerne chacun, potentiellement à tout moment. « Il est naturel qu’un thérapeute soit désorienté et submergé, en particulier dans la phase initiale, pour peu qu’il ne se limite pas à ne comprendre qu’intellectuellement » (p. 31).

La vie étant mouvement et adaptation perpétuels, c’est peut-être notre tendance humaine mentale à vouloir maîtriser que nous devrions nous atteler à faire évoluer. C’est peut-être elle, plus que ce qui nous échappe, qui participe de sensations intérieures de dysharmonie, d’incongruence, d’inconfort. Sous cet angle, le changement passe par un apprendre à vivre (confortablement ?) avec le mouvement. Par le développement d’une plus grande compétence à ne pas bloquer ce qui nous échappe: « d’une certaine façon, à partir de quelque part, la petite fille avait trouvé un chemin pour établir un contact avec ce garçon profondément isolé, et il lui avait répondu de la manière la plus simple » (pp. 43-44). Plutôt qu’un aveu d’échec, d’impuissance, peut-être y a-t-il là un chemin vers d’autres facettes de notre être, une ouverture à d’autres apprentissages et à d’autres formes de préhension et de perception du monde et des autres. Parce qu’ancré dans notre corps, ce qui relève d’un « sentir corporel-affectif » pourrait se révéler aussi fiable que notre faculté de compréhension et, mieux intégré, augmenter notre compétence à être des personnes pleinement humaines.

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