Psychothérapie, thérapie familiale, accompagnement des personnes âgées, enseignement, est-il possible que des mêmes caractéristiques soient applicables pour les personnes engagées dans ces différentes pratiques professionnelles ? Poser la question, c’est ouvrir un vaste champ de réflexion sur la nature de la relation d’aide, des situations où une personne humaine a pour engagement d’en accompagner d’autres à « grandir », à aller de l’avant, à faire face au mieux aux défis de leur existence. Poser cette question, de plus, ce n’est pas y répondre ; c’est avant tout y réfléchir.
Dans bien des domaines de notre vie sociale, « il existe un besoin urgent d’alternatives au modèle traditionnel » (p. 34). Contrairement à ce qu’une perception superficielle pourrait laisser penser, l’alternative proposée par l’Approche centrée sur la personne ne mène pas à un manque de rigueur et de cadre. Ce n’est pas une trop grande liberté qu’elle laisse à la personne. Son modèle est tout autre : par sa considération de chacun, c’est à l’autodiscipline qu’elle permet de prendre la place. Ainsi en classe, où « les élèves apprennent à travers les conséquences de leurs actes et partagent respect et responsabilité » (p. 36). Cet apprentissage est d’autant plus fondamental que « le fait de refuser de voir et d’accepter une responsabilité personnelle à l’intérieur d’un contexte global crée des inégalités de richesse, de pollution, d’accès à la nourriture, aux soins de santé et à d’autres qualités de vie dans les villes, les états, les pays et le monde » (p. 52).
Un modèle nouveau implique l’acceptation et la capacité de sortir de ses habitudes et du confort qu’elles représentent. C’est sans doute là un des plus grands défis pour l’être humain, car nous avons tendance, spontanément, à nous accrocher à ce que nous connaissons déjà . Il en est ainsi des relations familiales pratiquées depuis longtemps qui, pour évoluer, présentent un défi tant aux thérapeutes qu’aux membres de la famille. Aux thérapeutes tout d’abord, du moins à ceux qui ne voient pas en la famille un système fermé, figé, et pour qui « un couple ou une famille ce n’est pas tant une entité en elle-même qu’un ensemble de personnes » (p. 24), même si « cette prise de position qui consiste à dire qu’un ensemble n’existe pas est compliquée » (p. 26). Aux membres de la famille ensuite, pour qui le changement ne peut avoir lieu sans bouleversement. Ce moment où une ouverture nouvelle devient possible, pour être riche et souvent recherché, n’est jamais aisé. « Cette étape dans le processus thérapeutique est souvent le moment critique où la famille doit décider de tolérer l’anxiété potentielle de
l’inconnu et créer de nouveaux styles de comportements, peut-être non habituels […], ou de retourner à des formes (bien que dysfonctionnelles) de comportements familiers » (p. 12).
Ainsi, que ce soit au niveau individuel, au niveau des relations avec ses proches ou encore à celui des relations sociales et professionnelles, les défis et les obstacles relèvent de dynamiques similaires. Se changer soi-même va de pair avec un changement dans ses rapports aux autres. Et de même, changer sa manière d’être avec les autres, sa manière d’être thérapeute, enseignant, responsable d’entreprise ou politique passe par un changement personnel. La règle est la même à tous niveaux, sur tous les plans : « quand on fait preuve d’ouverture, qu’il n’y a ni interdits ni censure concernant la conception de soi ou créant des blocages, le processus psychique reste toujours un processus de croissance » (p. 67).
A l’inverse, au niveau individuel ou sociétal, quand on fait preuve de fermeture, qu’on (s’)interdit, on crée des blocages à notre expansion et à notre capacité d’adaptation. L’Approche centrée sur la personne, et elle n’est pas seule, démontre qu’une ouverture à soi comme à l’autre est possible, qu’elle se travaille, s’acquiert, ou peut-être se conquiert. Elle dit également que pour cela il n’y pas de technique, de mode d’emploi tout prêt. En avoir pourrait sembler bien plus confortable, mais ce serait perdre tellement tant sont infinies la diversité et la richesse de l’être humain. « La motivation idéale pour devenir thérapeute est dans l’abondance » (p. 33).
Les défis du futur sont déjà présents, nous en sentons le poids ; il nous reste à nous montrer capables de créer les conditions qui nous permettront de développer notre potentiel et nos ressources humaines, sur les plans individuel et collectif. Ce que nous pensons aujourd’hui et les modes d’interaction que nous établissons dessinent ce que sera notre monde de demain. « Voulons-nous former des jeunes dociles et obéissants qui ont une expérience limitée de la créativité et de l’initiative, ou bien préférons-nous former les jeunes de notre nation pour qu’ils deviennent des penseurs indépendants qui font preuve d’autodiscipline et d’humanité ? » (p. 35). Voulons-nous nous-même être des penseurs indépendants et responsables ?