ACP Pratique et recherche n°31

ACP Pratique et recherche n°31

Depuis des décennies, l’Approche centrée sur la personne tend, dans ses différentes applications, à fournir un cadre d’accompagnement à la croissance de soi et de son potentiel. Elle le fait au niveau des individus, engagés dans une démarche de connaissance de soi, et également au niveau des groupes, cet « espace pour vraiment découvrir le fonctionnement de l’interaction humaine et […] entrer courageusement en territoire inconnu » (p. 12). Les processus constructifs qu’elle permet de mettre en œuvre sont rendus possibles par une démarche non-directive respectueuse de chacun comme de la communauté humaine qui se crée au sein de toute collectivité. Ils se basent aussi sur une « vision holistique de l’être humain » qui implique que « la séparation entre corps et mental est obsolète, et [que] nous devons considérer la personne dans sa totalité organismique avec toutes ses dimensions (mentale, émotionnelle, physiologique et végétative) » (p. 81).

Il s’agit d’une démarche aux antipodes du contrôle et de l’autoritarisme. Bien qu’elle ait fait et continue à faire ses preuves, elle est porteuse d’une vision qui reste peu considérée dans nos structures sociales. Cela se ressent particulièrement dans le champ de la psychopathologie, qui « est beaucoup plus pessimiste quant à la capacité de changer profondément la personnalité » (p. 53) et, partant, « dépersonnalise la personne en tant qu’objet d’étude » (p. 51) et l’enferme souvent dans des « catégorisations pathologisantes » (p. 102). Cela se voit aussi dans le domaine de la recherche scientifique, construit majoritairement sur une tentative de neutraliser la dimension humaine et subjective. Cette vision dominante est cependant elle-même questionnée dans les milieux concernés, certains cherchant par exemple la voie pour « façonner une psychiatrie future dans laquelle la personne entière redevienne la mesure de toutes choses » (p. 59).

Comment mieux appréhender ces différences de perception de la personne, avec d’un côté une vision plus mécaniste et séquencée, caractérisée par la recherche de contrôle, de l’autre une conception plus holistique tendant à laisser plus de liberté? Une partie de la réponse se trouve peut-être dans le fonctionnement même de notre cerveau, et plus particulièrement de ses deux hémisphères. Depuis fort longtemps, les manières de réfléchir et d’appréhender le monde que nous avons développées sont basées principalement sur le fonctionnement de notre hémisphère gauche. Or il apparaît aujourd’hui que celui-ci n’est pas totalement fiable dans sa construction de la compréhension du monde. S’il « veille à ce que […] nous ayons toujours le sentiment de posséder un self unique et unifié […], il tend cependant à l’affabulation aux dépens de l’exactitude, sélectionne des informations qui collent à l’histoire, rend convenant ce qui ne l’est pas et invente des relations de cause à effet qui n’existent pas en réalité » (p. 36). La prédominance de l’utilisation de cette manière de penser pourrait donc nous avoir habitués à construire puis à croire en une vision de notre monde qui s’avère déformée, sans que nous ayons développé en parallèle les moyens de le réaliser.

A l’heure actuelle, nombreux sont ceux qui, de manière plus ou moins diffuse, sont habités par une impression que le monde tel que nous l’avons construit ne tourne pas tout-à-fait rond, que nous risquons de nous retrouver dans une impasse si nous ne changeons rien. Nos systèmes sociaux, éducatifs, familiaux et professionnels, auraient-ils participé à la formation d’une manière de penser incomplète, qui nous caractériserait actuellement et dont nous tenterions intuitivement de sortir sans véritablement en trouver le chemin? Comment penserions-nous notre monde, nos relations, nos manières de vivre si nous développions mieux les compétences de l’hémisphère droit, telles celles de « détecteur d’anomalies [qui] nous indique que quelque chose n’est pas juste dans nos pensées » et « d’appréhension de problématiques complexes de la vie réelle » (p. 36)?

« La thérapie centrée sur la personne offre un paradigme holistique de l’expérience humaine et repose sur la confiance que les individus peuvent fixer leurs propres objectifs et suivre leurs progrès vers ces objectifs » (p. 66). Par sa conception de l’humain et sa pratique, l’Approche centrée sur la personne semble ainsi être une des démarches, parmi d’autres, à même de favoriser une utilisation plus équilibrée, plus intégrée de nos facultés cérébrales. Face aux défis que nous rencontrons et auxquels nos sociétés vont être confrontées, nous ne pouvons que gagner à mieux faire appel à notre formidable potentiel humain et à créer un environnement qui en permette un développement constructif. Et même si « nous n’aimons pas toujours ce que nous découvrons sur nous-mêmes, ce qui représente un autre défi » (p. 18), il pourrait être temps d’avoir le courage de progresser résolument dans la prise en charge de notre évolution.

Jean-Marc Randin

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