La plupart des écoles de psychothérapie considèrent l’empathie comme étant l’un des fondements de toute démarche de relation d’aide. Elles divergent par contre quant à la place et l’importance qu’elles lui accordent. Dans la théorie et la pratique de l’Approche centrée sur la personne, l’écoute empathique est, avec la congruence et le regard positif inconditionnel, l’une des trois conditions à remplir de la part de l’écoutant. Ces trois dimensions interagissent et forment un tout qui déterminera la qualité de l’accompagnement thérapeutique ou de la relation d’aide. Elles sont considérées comme suffisantes et toute autre attitude ou méthode du praticien risquera d’être nuisible à la progression du client.
Il fallut des années de pratique, de réflexion et d’étude à Carl Rogers pour parvenir à définir les fondements de sa démarche en relation d’aide. Il n’a pour autant pas toujours été compris, et souvent déformé. Il a, surtout, développé une conception qui ne se laisse pas appréhender uniquement par la compréhension théorique, qui ne donne pas de supériorité d’expert, qui ne sert ni le besoin de pouvoir ni celui de maîtrise et qui, enfin, demande une réelle implication de sa personne. « Pendant des mois de thérapie éprouvante, j’ai appris beaucoup de choses qui ressortent de l’expérience de l’empathie » n’est peut-être pas la réalité à laquelle s’attend à être confronté le futur praticien (p. 33). Elle est pourtant de celles qui sont à même de faire de lui un véritable soignant.
Pour y arriver, il lui faudra bien souvent se départir de ses croyances comme de ses envies de « bien faire », se distancer d’acquis antérieurs et peut-être procéder à une véritable rééducation de ses conceptions comme de ses manières d’être et de faire. L’écoute empathique proposée par Rogers et l’Approche centrée sur la personne est difficile à atteindre. « La réponse empathique chez Rogers est une expression complexe et riche de la signification subjective du client » (p. 9). Elle demande avant toute chose de laisser de côté ses idées, ses conceptions, son matériel à soi. La solution aux difficultés d’une personne, si elle existe, ne peut se trouver que chez cette personne, du fait même que nous sommes tous des individus, des configurations uniques dans leur complexité propre. Si ce fait est accepté comme tel, il devient moins perturbant de ne pas savoir pour l’autre et plus évident que la compréhension d’un autre ne sera jamais chose aisée. « Il est important de remarquer qu’une telle compréhension est un acte d’attention, un effort, et pas du tout la sorte de compréhension spontanée, immédiate, instantanée que beaucoup associent au mot ‹ empathie › » (p. 29). Ce n’est certainement pas une écoute passive, même si elle peut par moment être silencieuse, mais une intention active de tout instant, une tension de l’être qui à son meilleur l’engage dans toutes ses dimensions, mettant en éveil son corps, ses perceptions et sa pensée.
C’est donc à une formation de l’être qu’il faut s’atteler pour parvenir à une qualité d’écoute empathique satisfaisante, pour soi comme dans son travail. La tentation est grande, et compréhensible, de tenter de simplifier cette formation et de trouver des techniques qu’il s’agirait d’apprendre et d’appliquer. « L’une des sources majeures d’incompréhension dans l’Approche centrée sur la personne consiste à se centrer sur comment faire » (p. 9). Le piège est qu’une telle tendance peut facilement être considérée comme motivée par un souci d’efficacité de la relation d’aide, alors qu’elle mène à en perdre une dimension fondamentale : sa composante humaine. « La formation des thérapeutes est de plus en plus centrée sur des savoir-faire […] et ce faisant elle passe à côté de l’essence de l’Approche centrée sur la personne, à savoir que lorsqu’il est compris de manière empathique et inconditionnellement accepté par une personne congruente, l’individu est la source de ses propres ressources et de ses compétences » (p. 67). Une approche technique comme une approche purement médicale de la relation d’aide auront pour conséquence de la déshumaniser. Dans l’histoire comme dans l’actualité de la psychothérapie, ces deux conceptions se heurtent cependant régulièrement. « Les conflits professionnels sur la pratique autonome de la psychothérapie qui eurent lieu avant et après la deuxième guerre mondiale entre la psychiatrie dominée par les hommes et les professions cliniques pratiquées par les femmes ont grandement contribué à la popularité de la psychothérapie centrée sur la personne à ses débuts » (p. 42).
La science du psychisme est, dans l’histoire humaine, une discipline à la fois ancienne et relativement récente, dans laquelle beaucoup reste à découvrir. Il est à souhaiter que sa progression passe non par une maîtrise de l’extérieur, mais par une plus grande connaissance intérieure et une plus grande intégration de chacun.