Il est étonnant, alors que les expressions « relation thérapeutique » et « relation d’aide » sont couramment utilisées dans les professions concernées, que relativement peu d’attention soit portée à la valeur, à la nature, à l’impact ou encore aux effets de la dimension humaine et relationnelle en psychothérapie. Dans les milieux de la recherche, par exemple, « la question critique pour la plupart des chercheurs de la relation thérapeutique est liée à l’adaptation de la relation thérapeutique à un individu» (p. 63). Dans une telle conception, la relation est prise comme factuelle, pragmatique, laissant bien peu de place à la nature à la fois interactive et unique de toute rencontre entre deux êtres humains, ainsi qu’à sa dynamique propre.
Pourquoi une telle situation? Pourquoi la part humaine de la relation thérapeutique n’est-elle pas considérée d’office ? Par besoin de pouvoir et de contrôle ? Par peur de l’inconnu, de ce qui nous échappe ?
Peut-être la connaissance de notre psychisme n’est-elle pas suffisante aujourd’hui pour pouvoir répondre à ces questions. L’expérience et l’observation, cependant, nous montrent certaines pistes. Il semble tout d’abord que, pour pouvoir véritablement entrer en contact avec un autre être humain et le comprendre de manière empathique, il soit nécessaire de déconstruire un certain nombre d’habitudes et de processus mentaux. Trop souvent, notre pensée encombre notre écoute. «En écoutant ainsi, notre esprit recherche un sens à ce que la personne nous dit ; c’est avec notre intellect que nous essayons de comprendre, alors que cela se passe à un autre niveau» (p. 50).
Cette étape de déconstruction n’est pas agréable. C’est celle de la désillusion, de la perte de repères, de la reconnaissance que je ne sais pas pour l’autre (souvent désignée comme « l’acceptation de ses limites ») et enfin de l’abandon d’un statut d’expert. Elle n’est pas toujours acceptée, et pas par tous ; beaucoup d’arguments sont même avancés pour justifier la nécessité d’une position d’expert, de guide qui dirige, dit quoi faire, est dépositaire des solutions.
Lâcher la prédominance de la pensée et de la maîtrise est cependant nécessaire ; c’est la condition d’une ouverture à une autre manière d’être avec la personne. Ce n‘est qu’en renonçant à un certain mode de fonctionnement que nous
pourrons nous mettre à la recherche d’un nouveau.Si nous ne le faisons pas, nous resterons encombrés par nos habitudes mentales, alors qu’il faut en sortir pour espérer trouver un état particulier de présence et d’écoute, qui nous permette d’être en contact avec la personne dans son monde intérieur. La porte d’entrée vers le potentiel unique de compréhension de soi du client est là , car il ne sera alors plus limité ou mis en danger par le regard potentiellement évaluant ou jugeant de son thérapeute. C’est par cette qualité rare de relation humaine que les psychothérapeutes peuvent devenir «des guérisseurs de l’âme, non des médecins de l’esprit », dont « l’inconditionnalité de [la] présence pose un point d’ancrage » (p. 81).
Toucher à cette dimension demande un profond respect humain, et ce quel que soit l’état psychique de la personne. Faire preuve d’un tel respect ouvre la route à l’écoute véritable d’une personne, dans toutes ses dimensions. Il n’y a pas de problème spécifique pour lequel un type de « traitement » précis serait le plus efficace. Dans un entretien thérapeutique de Rogers, « le trait marquant de l’interaction […] sur la question des sentiments bizarres [de la cliente], c’est que Rogers est aussi respectueux de cette sorte d’expérience de la part d’une patiente schizophrène hospitalisée qu’il le serait d’un client ‘normal’ » (p. 24). Et, comparativement à son état psychique, cette cliente avance autant dans une plus grande clarification d’elle-même que pourrait le faire, par rapport à ses moyens, un client moins perturbé.
L’enjeu, pour le thérapeute, ne relève pas tant des limites du client que des limites de sa propre compétence à l’écoute. «La différence pour la personne écoutée est immense entre une écoute où les conditions sont suffisamment présentes, et de ce fait perceptibles, et une écoute où cela n’est pas le cas […] » (p. 52). Le thérapeute saura-t-il répondre présent en toute circonstance, suivre la personne dans son vécu quel qu’il soit, par exemple lorsque « face à la mort, nous avons besoin d’une compréhension remaniée de nous-mêmes et du monde » (p. 87) ? Ici comme dans toute autre situation, saura-t-il s’effacer suffisamment, avec ses réflexions personnelles, son intellect, son savoir, pour rencontrer l’autre dans son individualité unique, avec ses différentes facettes, et dans son positionnement intérieur face à sa réalité de vie ?