ACP Pratique et recherche n°34

ACP Pratique et recherche n°34

A l’évidence, nous vivons un moment charnière de notre histoire. Les rapports humains deviennent tendus, nerveux, conflictuels, trop souvent dramatiques, de la sphère individuelle à celle des nations. Les sociétés démocratiques sont de plus en plus fracturées en camps opposés, les régimes autoritaires progressent. Après des décennies d’ouverture, le repli sur soi des individus et des nations s’affirme de manière de plus en plus assumée. Dans ce moment de civilisation si particulier, où tout semble pouvoir basculer sans que nous sachions de quel côté, la psychologie peut-elle aider à mieux appréhender ce que nous traversons ? Elle n’a pas de réponse toute faite, et à l’évidence il n’y en a pas, mais elle offre un regard intéressant dans son domaine de compétence, la connaissance du fonctionnement psychique humain.

Depuis un siècle, les moyens de communication ont évolué de manière exponentielle. D’abord au niveau des déplacements physiques, les endroits les plus éloignés de la planète devenant accessibles en quelques jours. Puis sur un plan technologique, les échanges écrits, oraux et plus récemment visuels devenant possibles instantanément, quelle que soit la distance. Face à cette explosion des moyens, la communication psychologique fait figure de parent pauvre, tant son évolution n’a pas suivi le même rythme. Elle n’a de loin pas fait l’objet de la même attention ni d’investissements significatifs. Plus insaisissable, elle ne requiert pas de découvertes technologiques, mais une évolution humaine. Or une véritable écoute de l’autre, base de la communication, « n’est pas une compétence facile à acquérir. Elle requiert de la pratique. Et plus important peut-être, elle peut nécessiter de changer nos propres attitudes fondamentales. Ces changements surviennent lentement et parfois avec des difficultés considérables » (p. 16). De tels changements demandent un accompagnement, sinon la rencontre de l’autre risque de devenir conflictuelle, de provoquer une « défense de l’image de soi tendant à entraîner une rigidité du comportement et à créer des difficultés d’adaptation » (p. 11).

Le développement d’une capacité d’écoute authentique devrait ainsi commencer dès le plus jeune âge, et cet apprentissage être considéré comme aussi important que celui des branches scolaires classiques. Il demande l’établissement d’un environnement sécurisant, « un climat qui ne soit ni critique, ni évaluatif, ni moralisateur » (p. 11). Il nécessite du temps, de l’engagement, de la patience. Il a besoin d’être accompagné, facilité, encouragé. Et il est à poursuivre tout au long de sa vie. Souligner son importance en cette période cruciale, c’est rappeler l’existence de moyens à disposition de chacun qui, intégrés et pratiqués, peuvent se révéler aussi simples que puissants. C’est tendre à l’acquisition de compétences qui permettraient de « catapulter notre courage individuel et collectif vers l’avant et vers le haut, quel que soit le spectre humain que nous incarnons, tout en nous plongeant dans les sources les plus profondes de nos capacités humaines inexploitées » (p. 40).

Cette exploration-là est encore balbutiante et n’attire qu’un nombre limité de personnes. Nous nous demandons rarement si nous savons vraiment écouter, et qu’elle en est l’importance dans nos interactions ; de quoi est composée notre écoute et quelle en est la qualité ; à quelles difficultés nous sommes confrontés si nous tentons réellement l’ouverture à l’autre. Le groupe, social, professionnel, familial, ou « de rencontre » en Approche centrée sur la personne, est un milieu propice au développement de la capacité d’écoute. À condition cependant de le vouloir car « la manière de rencontrer les personnes en étant centré sur le client, la dignité de la personne et la dignité humaine, si nous ne la faisons pas progresser, si nous ne nous battons pas pour cela » (p. 55), n’aura aucune chance de devenir une véritable référence.

Chaque jour nous entendons parler des changements de notre monde, mais si peu de l’idée de nous changer nous-mêmes, et encore moins d’un tel changement comme étant un des éléments essentiels de notre futur. Pourtant « derrière tout cela, il y a l’intention de donner à la personne la capacité d’entrer dans sa propre force et de la soutenir pour qu’elle parvienne à atteindre la plus grande liberté psychologique possible, malgré les défis et les difficultés de la vie » (p. 95). Le manque de cette liberté psychologique prend de nombreuses formes en nous, qu’il ne nous est pas évident d’identifier car nous n’arrivons que difficilement et partiellement à regarder notre fonctionnement psychique. Le chemin est encore long avant de parvenir peut-être véritablement, un jour, à « surmonter l’aliénation psychologique par rapport à sa propre nature, faciliter l’autonomie et l’authenticité, l’intégration et l’adoption d’éléments de sa propre expérience émotionnelle, l’ouverture croissante au monde, la congruence avec soi-même, etc. » (p. 69).

Jean-Marc Randin

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