Comment faire lorsque l’on est confronté à ce qui nous échappe, que nous ne pouvons comprendre ? Comment travailler avec des personnes dont la manière de penser, de se vivre au monde nous est étrangère, et avec qui nous ne pouvons communiquer selon les modes qui sont les nôtres habituellement ? Personne n’a de réponse universelle et il n’en existe assurément pas. Ce que nous pouvons, bien sûr, c’est faire part de nos réflexions et de nos expériences dans le domaine. Cet échange est essentiel. Il y a également un certain nombre de données qui méritent notre attention et sont entre nos mains, car elles touchent à toute relation humaine ; de ce fait elles peuvent prendre une importance encore plus grande dans ces situations particulières où le langage verbal passe au second plan.
Ainsi peut-on, doit-on reconnaître et prendre en compte que, dans les métiers de la relation d’aide, les professionnels sont dans une position de pouvoir par rapport aux personnes avec qui ils travaillent. Que ce soit en psychothérapie, dans l’enseignement ou, comme ici, en éducation spécialisée (pp. 5-25) ou en milieu psychiatrique (pp. 46-61 et 62-76), la relation n’est pas équilibrée. Ce peut être une question que l’on a envie d’éviter car, lorsque l’on choisit d’exercer un tel métier, c’est généralement dans l’idée de le faire pour le bien de l’autre. Mais la pratique n’est pas si simple dès lors qu’il y a quelqu’un qui concrètement existe en face de nous, et ne fait pas ce que nous aurions envie qu’il fasse ou estimons qu’il devrait faire. Car là alors nous serons véritablement confrontés à nous-même, et nos lacunes, nos points faibles seront mis à contribution. Le danger est ainsi de nier l’existence de cette question et sa réalité concrète, et par suite de ne pas être aptes à voir à quel moment nous glissons dans la prise de pouvoir autoritaire sur la personne et adoptons un comportement inverse à ce que nous voudrions être capables de faire. Dans ces moments nous serons bien loin d’une attitude d’acceptation et de respect et, malheureusement, notre manière d’être sera perçue et aura un impact fort sur les personnes dont nous nous occupons ; elles y réagiront alors, à leur manière et avec leurs moyens.
D’un point de vue plus large, il vaut tout autant la peine de faire face à de telles questions, car elles concernent tout un chacun, au-delà de celles et ceux qui travaillent directement avec des êtres humains en difficulté. Les relations de pouvoir entre individus, comme entre communautés humaines, sont et
ont toujours été, aussi loin que nous le savons, au coeur de nos fonctionnements tant personnels que sociaux. Il est parfois de bon ton d’adresser des reproches à « ceux qui ont le pouvoir », quelque part, ailleurs. Mais il serait utile de nous rappeler que nous détenons tous, chacun dans notre environnement, notre parcelle de pouvoir. Dès lors c’est un enjeu qui concerne chacun d’entre nous et qui, à l’heure actuelle peut-être plus que jamais, dessine le visage du monde dans lequel nous vivons.
Lors d’un congrès international réunissant bon nombre de psychologues, penseurs, chercheurs et professionnels des relations humaines, une israélienne, réfléchissant à la situation dans son pays, a proposé la définition suivante : « le respect, c’est la volonté de partager le pouvoir ». Sommes-nous capables, avec ceux que nous côtoyons, tant dans notre cadre professionnel que privé, de faire preuve de ce respect, soit de véritablement prendre l’autre en compte avec tous ses moyens, sans rien lui enlever ? Le faire serait le début du respect, de la considération, et ce peut être une véritable force de guérison, d’apaisement pour une personne tourmentée. C’est un vrai défi, dont il est impossible de mesurer l’ampleur et la puissance, pour un individu comme pour un groupe. Car au-delà de l’enjeu individuel, c’est également un enjeu d’espèce. Notre monde actuel souffre d’un manque de respect, patent partout. Ce n’est pas forcément nouveau dans l’histoire humaine, mais la conscience de cet état de fait et la réalité de ses conséquences sont chaque jour présentes, proches ou lointaines. Le temps est peut-être là d’en faire quelque chose, de « forcer » notre évolution… ou de réaliser que la santé psychique ne relève pas seulement de l’absence d’une « maladie », d’un trouble mais demande, pour véritablement exister, un esprit sain jusque dans ses fondements. Cela, du reste, qui peut être sûr que ceux que nous « soignons » ne l’ont pas compris avant leurs soignants ?