ACP Pratique et recherche n°25

ACP Pratique et recherche n°25

Quelle est la place du psychologue et du psychothérapeute dans notre monde en pleine mutation ? La naissance de la psychologie, à la fin du XIXe siècle, s’est faite dans un environnement avant tout médical, à une époque où le domaine du social n’existait pas tel que nous le connaissons aujourd’hui. La profession s’est depuis développée à cheval entre ces deux grands domaines ; elle n’est pas purement médicale et ne relève pas vraiment non plus du social, tout en contenant un peu des deux. Cette dualité est régulièrement source de tensions, de difficultés de définition et de positionnement.

Elle peut cependant être vue comme normale pour un domaine s’occupant d’individus à la fois en souffrance et membres de leur communauté humaine. Aussi simple qu’il soit, un tel constat n’est pour autant pas évident et comprend des implications bien souvent laissées de côté. Bon nombre de psychothérapeutes prennent en compte uniquement le fait de s’occuper d’individus en souffrance. Ils n’intègrent pas l’autre terme de l’équation, à savoir le fait que ces personnes sont en même temps des membres – et par là des acteurs – de leur communauté.

Dans son essence, la perspective centrée sur la personne transcende cette dualité. Elle le fait conceptuellement, par son ancrage dans l’idée d’une tendance actualisante, son « seul énoncé théorique qui ne puisse être démontré au sens strict, et qui est défini comme une tendance intrinsèque de l’organisme humain à développer toutes ses capacités » (p. 52). Elle le fait également dans les différents champs de sa pratique, où elle « est fondamentalement relationnelle, [quand] à l’opposé, une grande partie de la pratique psychiatrique n’accorde à la relation ni valeur profonde ni intérêt en tant que force de guérison ou facilitatrice de la croissance (p. 34).

Faut-il alors élargir le positionnement de la profession et aller jusqu’à « voir la force du processus centré sur la personne non seulement comme une approche thérapeutique efficace, mais également comme une véritable pédagogie de la transformation, dans laquelle pouvaient se développer les personnes ayant les aptitudes, attitudes et niveaux de conscience critique caractéristiques de la personne de demain » (p. 18) ? Certains, mais pas tous, font ce pas.

La réflexion mérite pour le moins d’être faite, les perspectives d’être ouvertes, car le psychologue aussi, isolé dans son cabinet ou non, est un membre de sa communauté humaine, qui participe à part entière de sa construction. Pour chacun se pose la question : quelle part ai-je envie d’avoir ? Quel acteur de ma société suis-je désireux d’être ? Comment est-ce que je me vois, à travers mon métier, participer à la construction du monde dans lequel je vis et, au-delà, de celui de demain ? Praticiens ou théoriciens de l’Approche centrée sur la personne, nous avons une voix à faire entendre. Et même si elle est minoritaire, bien des gens peuvent être intéressés à l’écouter, y compris dans le domaine de la santé mentale. Cette voix peut être prise en compte, et plus souvent peut- être que nous ne le réalisons. Par exemple lorsqu’elle suscite « une petite révolution dans la manière d’enseigner les compétences d’aide au sein de la faculté […] » (p. 84).

Certains disent que cette voix doit se faire mieux entendre, qu’il y a urgence même « vu apparemment la généralisation de notre détresse psychologique et son effet incapacitant » (p. 14). La psychologie et la psychothérapie ne mènent pas qu’à soutenir des gens en difficulté ou détresse psychiques. Elles permettent également, par les suivis individuels et peut-être plus encore par les pratiques en groupe, de mettre en lumière des comportements psychiques humains fondamentaux, et d’en décortiquer les fonctionnements subtils. Les besoins de pouvoir et de reconnaissance, pour ne citer que ceux-là, ont des conséquences tant sur les plans individuels que sociaux – de la famille aux plus hautes sphères du pouvoir politique ou économique. La méconnaissance de leurs rouages intimes au sein de l’individu est un des fléaux de notre monde, un obstacle radical à une construction saine de celui-ci.

C’est face à de tels archaïsmes que, pour croître, nous avons à relever le défi – à l’intérieur de nous-mêmes déjà, puis dans une bonne partie de notre pratique quotidienne. « L’actualisation n’existe pas par elle-même, sans impulsion venant de l’extérieur » (p. 75). Compétence à la congruence, regard positif inconditionnel et compréhension empathique sont parmi les plus puissantes réponses que nous connaissions et puissions apporter à ces défis. Il se peut que « la petite part qui nous revient dans nos choix est celle de fournir l’effort indispensable à la présence et à la conscience, sans lesquelles nous restons sourds et aveugles […] » (p. 40) ; à nous cependant de faire notre part et d’aborder le défi psychologique du « XXIe siècle globalisé » (p. 24) avec un maximum de lucidité et de conscience.

Jean-Marc Randin

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