La recherche scientifique est intéressante, passionnante même. Comme tout domaine de la pensée humaine, elle n’est cependant pas indépendante de la culture et du mode de réflexion de son époque. Etudier le fonctionnement et le résultat de la psychothérapie pose ainsi la question de savoir ce qui est recherché, et pourquoi. Si on parle d’en « mesurer l’efficacité », de quoi s’agit-il ? Quelle vision, quelle conception sont en jeu ? Sont-elles les seules possibles ?
Suivre un modèle médical revient à considérer les symptômes comme étant le critère d’étude par excellence. Cela présente le visage d’une certaine objectivité, rassurante. Bien des écoles thérapeutiques estiment cependant qu’« à côté des symptômes, il faut aussi utiliser les objectifs des clients, comme par exemple la valeur personnelle, une vie satisfaisante, la clarté intérieure, la capacité de vivre des relations ou la résilience » (p. 24). Une telle conception intègre des dimensions humaines, forcément subjectives, qu’il est difficile de quantifier mais qui donnent une place aux personnes qui, souvent, ont pris l’initiative de suivre une démarche thérapeutique. Plus qu’une question de mesures et de critères, c’est ainsi rapidement la conception même d’une telle démarche qui est en jeu. « Il convient ici de se garder d’une approche réductionniste d’un processus thérapeutique complexe » (p. 79), sous peine de passer à côté de considérations essentielles.
Loin de ne correspondre qu’à un traitement de symptômes, la psychothérapie participe de l’antique question humaine de la connaissance de soi, aujourd’hui souvent nommée « développement personnel ». Mieux faire face à sa vie, à ses difficultés, passe avant tout par la nécessité d’une plus grande compréhension de soi, de son fonctionnement et de ses processus. Il est interpellant que des « participants [à une recherche] apprécient leur nouvelle expérience plus profonde de leur vulnérabilité comme étant un résultat positif de la thérapie » (p. 16), alors que cela pourrait être considéré comme négatif ou insécurisant, et qu’il est peu probable qu’un tel résultat ait été identifié à l’avance comme un objectif, que ce soit de la part des thérapeutes ou des participants. L’évolution que peut permettre une thérapie est subtile, complexe et multidimensionnelle. Le chemin n’est ni immédiat, ni tout tracé, ni même garanti. « La force motrice du développement est l’activité personnelle, soit un effort actif de la part de la personne » (p. 55), tandis que « le réconfort d’être compris, d’éprouver de la compassion ou de ne pas se retrouver seul dans ses problèmes n’est jamais atteint sans risque de son contraire » (p. 45).
Face à un domaine aussi délicat, complexe et spécifique, ile est légitime de se demander qu’elles sont les manières adéquates de l’aborder. Un certain nombre de scientifiques prônent, depuis quelques décennies, l’adoption d’un « profond changement de paradigme, caractérisé par un déplacement des métaphores du monde en tant que machine vers le monde en tant que réseau […], un tout intégré » (p. 69). Les conséquences sur notre manière de voir et de penser le monde que peuvent avoir ces nouveaux modèles sont difficiles à imaginer. Elles touchent pourtant aussi les domaines du développement psychique et de la relation humaine. Une évolution s’opère déjà , ouvrant de nouvelles perspectives, telle par exemple « la recherche sur les mécanismes neuronaux et de l’humeur liés au contact psychologique » (p. 52).
Comme pour tout changement important, et de manière quelque peu ironique car cette réaction relève justement du psychisme humain, la résistance, soit l’envie de maintenir ce qui est connu, est forte. Plusieurs aspects de ces nouvelles conceptions retiennent cependant l’attention. Comme pour la perspective centrée sur la personne du développement humain, il y est question de processus pour décrire la réalité du monde. L’évolution ne consisterait pas en un passage d’n état à un autre état, mais en un processus continuel. Soit une réalité physique et humaine, toujours mouvante, et non statique.
Dans la recherche en psychothérapie, la notion de symptôme relève d’une conception statique, tandis qu’une vision plus globale considérera « l’unicité et la singularité de chaque rencontre thérapeutique […] comme le cœur et l’essence de tout processus thérapeutique » (p. 87). Le champ d’observation s’en retrouve élargi et intègre mieux les multiples facettes qui émergent en psychothérapie, comme résultant des deux personnes en présence, de leur engagement, de leur tempérament, de leur individualité ainsi que de la relation humaine qui se crée entre elles et qui évolue constamment. Considérer tant ces différentes dimensions que le tout qu’elles forment est sans doute moins évident pour le chercheur, ou pour le décideur politique, mais semble bien plus fidèle à la réalité du fonctionnement du monde, dont l’être humain fait partie intégrante et à laquelle il n’échappe pas.
Jean-Marc Randin