ACP Pratique et recherche n°33 – Revue francophone internationale de l'Approche centrée sur la personne

ACP Pratique et recherche n°33

ACP Pratique et recherche n°33

À l’heure où notre monde et nos sociétés humaines traversent une période de mutation et de profonds bouleversements, peut-être est-il temps d’oser rêver. D’oser imaginer quels pourraient être certains des fondements d’un potentiel monde de demain émergeant d’une évolution humaine constructive.

Pour cela il est indispensable de remettre la considération de l’autre sur le devant de la scène et de la penser, ou la repenser, sous différentes facettes, tant une évolution positive de notre monde semble, pour exister, devoir passer par de multiples plans. Depuis des décennies, les psychothérapeutes ont accumulé beaucoup d’expérience dans le domaine de la relation humaine. Cela a mené nombre d’entre eux à des observations et à des réflexions qui, pour être fondamentales, nous mènent sur des chemins nouveaux, bousculant nos habitudes, faisant appel à des notions que notre langage même a de la peine à mettre en mots, tant ceux-ci semblent ne pas toujours exister.

De ces regards croisés se dessine une conception du monde cohérente et complète. Relation à soi, à l’Autre, à notre environnement naturel et social, à la planète, la période que nous traversons concentre ces différentes dimensions comme jamais encore peut-être dans l’histoire humaine. Dans chacun de ces domaines, un changement de perception semble être à portée de main. Il est ainsi possible de passer d’une conception de la psychothérapie dans laquelle « le thérapeute est présenté comme responsable des changements » (p. 8) à « une vision des clients comme étant des organismes actifs, qui explorent l’environnement thérapeutique » (p. 22). C’est à la suite d’un tel changement de perspective, révolutionnaire et à ce jour encore fort minoritaire, que les deux personnes constituant la relation thérapeutique peuvent être pleinement considérées, avec leur valeur humaine, leurs limites et leur recherche, qui les mènent à être là, dans le cadre de ce contexte spécifique et professionnel.
Il est alors possible d’aller plus loin et de s’ouvrir à « une compréhension de la relation thérapeute-client comme quelque chose qui va au-delà du dialogue entre les personnes pour devenir un processus qui a sa propre nature et un dynamisme individuel émergeant de l’interaction des participants » (p. 35). Franchir ce pas, ne serait-ce que conceptuellement, induit un saut dans l’inconnu, dans la nouveauté, tant pour notre compréhension intellectuelle que pour notre conception et notre approche concrète de la relation humaine. Si celle-ci a sa dynamique propre, nous y intéresser ouvre un nouveau champ d’exploration de notre potentiel humain et de notre impact dans le monde.
Nous nous trouverions alors « embarqués […] dans un processus de transformation qui englobe l’univers tout entier » (pp. 79-80), dans lequel notre rapport à notre environnement naturel serait également à envisager comme relevant d’une relation, porteuse en elle-même d’une dynamique et de ses résultats. Ce serait là un véritable changement, tant sur le plan individuel que collectif, impliquant une remise en question des fondamentaux sur lesquels nous avons construit notre environnement socio-culturel depuis des siècles. Ce serait également le signe d’une ouverture à un renouvellement de ce même environnement, vers quelque chose que nous ne pouvons à ce jour pas réellement nous représenter : « notre psychologie [par exemple] a bien du mal à étendre la notion d’empathie. Nous croyons savoir ce qu’est l’empathie appliquée aux êtres humains, mais il nous est difficile de définir l’empathie appliquée à la planète : empathie envers les animaux ? Empathie pour des rochers, des pierres, des arbres ? » (p. 83), souvent nous ne savons même pas comment questionner une approche du monde sous un tel angle, pourtant tout simplement celui de la relation. « Il s’agit du passage d’une vision centrée sur la personnalité à une vision dans laquelle la relation est considérée comme centrale dans l’existence et l’identité humaines » (p. 31), mais si l’écrire est simple, le réaliser est une tout autre histoire.
Aussi interpellantes qu’elles puissent être, de telles réflexions présentent une même conception du monde, un système complet avec sa cohérence. Elles intègrent dans un tout à multiples facettes une considération de l’autre en tant que personne holistique, une perspective de la relation se traduisant concrètement par une prise en compte de la dynamique client-thérapeute comme une entité en soi, une approche enfin du rapport au monde qui implique d’« apprendre à vivre simultanément dans la conception du tout et dans celle de l’unité » (p. 88). A partir et cependant « en dehors du domaine de la psychothérapie, l’Approche centrée sur la personne, avec sa posture intérieure éthique et sa manière d’être, pourrait bien offrir une réponse à la situation actuelle » (p. 52), ou du moins un chemin permettant d’explorer une évolution vers une plus grande maturité de l’être humain, considéré à la fois en tant que personne et espèce en devenir.

 Jean-Marc Randin

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