ACP Pratique et recherche N°11

ACP Pratique et recherche N°11

Dans le cadre d’une relation d’aide, qu’est-ce qui fait que quelqu’un change ? La réponse, selon la démarche centrée sur la personne, a trait au potentiel de croissance de l’être humain, et est de ce fait inhérente à la personne. Ce n’est pas, selon cette conception, par un apport extérieur de connaissance que se produira le changement : il n’y a pas de connaissances supérieures, dont certains seraient dotés – les professionnels – et d’autres pas – les patients, les clients, les résidents.

Cette position reste minoritaire, bouleversant les habitudes, idées et conceptions les plus répandues dans les métiers de l’humain. Elle met la valeur humaine au centre, considère comme premiers et prioritaires le contact et la qualité de la relation. Elle intègre dans ses fondements que « les ‹relations› sont considérées par les êtres humains comme la principale source de sens » (p. 48). Elle demande de se former et appelle à une autre formation que celles qui croient à une accumulation de savoirs, qu’ils soient pertinents ou non d’ailleurs. Elle demande de se former soi-même à devenir capable d’être une personne fiable, digne de confiance pour et aux yeux de ceux-là même dont on « s’occupe ». Elle demande de développer et de faire preuve d’une qualité d’être qui soit perceptible et perçue. Cet aspect est d’une importance rare et trop souvent négligée, alors que « pour la personne en souffrance, rien que le fait de rencontrer quelqu’un dont l’attitude signifie : ‹ il y a quelque chose que je n’arrive pas à comprendre › et non pas ‹ elle est détraquée ›, représente une différence cruciale qu’elle va certainement ressentir » (p. 9).

C’est une des forces de la démarche, et c’est en cela aussi qu’elle est centrée sur la personne, que de considérer comme critère fondamental ce que l’autre, la personne en difficulté ou en recherche, reçoit, perçoit. C’est ce qui est reçu qui a de la valeur : « [la thérapeute] a eu le net sentiment qu’il [le client] s’assurait qu’elle était suffisamment digne de confiance pour rester avec lui dans son expérience » (p. 43). C’est bien le client qui est juge. C’est lui qui, à son comportement, à ses réactions, à son cheminement, montrera si le professionnel est dans le juste ou non. Encore faut-il être capable de l’entendre, de le recevoir, ce retour sans complaisance, direct, brut. Encore faut-il, également, rester dans la relation et en relever le défi à tout moment. La démarche n’est pas toujours simple : « Et lorsque je me posais des questions du genre : ‹ Est-ce que je

fais ce qu’il faut faire ? ; Continuer a-t-il a un sens ? ›. Il m’était difficile de trouver la motivation pour continuer » (p. 29).

Lorsque les qualités humaines permettant relation et contact existent et s’expriment, elles ont une force et une présence peu spectaculaires mais d’une richesse sans limite. Cela vaut en entretien individuel comme au sein d’une institution et la tâche n’est pas aisée, la remise en question de soi constante, avant que « penser en termes de contact […] devienne une manière naturelle de regarder, de penser, d’interagir et de travailler avec les patients » (p. 25). Cela demande, y compris dans le cadre d’un hôpital psychiatrique, de se maintenir là où est le client, ou patient, de ne pas partir ailleurs, dans nos interprétations, dans notre intellect, et de rester dans « le présent comme moment », qui contient « non seulement l’expérience de la personne, mais l’accomplissement de la personne » (p. 69).

Penser qu’il s’agit d’une vision trop simpliste serait ne pas bien comprendre. Ce serait faire abstraction de l’exigence que cette position pose sur le professionnel, qui doit en tant que personne incarner véritablement ses conceptions et qui ne peut le faire à moitié. Le principe est une forme d’absolu : « l’attitude du clinicien, psychothérapeute ou psychosociologue […] est aussi radicale car il ne met aucune limite au changement de son client, et l’aide tant qu’il le peut et que le client le veut » (p. 59). Sa réalisation n’est ni évidente ni a priori confortable. Il est, dans un premier temps, plus facile d’avoir une conception et un but pour la personne. Il est aisé de se voir, en tant que professionnel, comme celui qui sait face à celui qui ne sait pas et est dans le besoin. Une telle vision est pourtant vite limitative et de ce fait peu gratifiante. Il serait triste, en définitive, qu’il n’y ait pas plus de potentiel en l’être humain que ce que nous sommes capables d’imaginer. Il vaut mieux considérer que « les êtres humains sont des processus en évolution qui se dirigent vers une plus grande différentiation et complexité et dont l’intention et les buts, bien que n’étant pas le fait du hasard, sont imprévisibles » (p. 73), quitte à assumer l’inconfort qui relève de devoir suivre et s’adapter sans cesse à cette imprévisibilité, sans pouvoir la réduire ni la maîtriser.

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