ACP Pratique et recherche N°10

ACP Pratique et recherche N°10

La démarche développée par Carl Rogers est empreinte de cohérence et de simplicité, tant dans sa pratique, quel que soit le domaine d’application, que dans ses dimensions théorique et philosophique. Elle concerne l’humain et de ce fait renvoie chacun à sa réalité, avec ses acquis, ses limites et sa complexité. Elle pose cependant une exigence sur l’individu, celle de ne pas être enfermé en soi-même, dans ses conceptions, ses pensées, ses impressions. Elle l’invite plutôt à une ouverture au monde et aux autres, à participer à une réalité toujours en mouvement et à s’y adapter constamment. Elle est une discipline en même temps qu’une « attitude qui rend humble devant le mystère des autres et qui fait que l’on souhaite seulement les reconnaître et les respecter » (p. 23).

Pour être simple, cette attitude n’est pas pour autant synonyme de facilité. Elle ne ménage pas la part d’orgueil et d’égocentrisme qui réside en chacun, la propension à vouloir être celui qui sait et à maîtriser. Il n’est pas facile d’être vraiment porteur de la « conviction que l’autorité ultime se trouve dans l’individu » (p. 12), surtout devant ceux que nous serions facilement portés à juger, face à qui nous éprouverions rapidement un sentiment de supériorité. Il n’est pas facile d’accepter pleinement d’être confronté à ses limites, de se retrouver peut-être un jour « conduit(e) par un sens toujours plus grand de l’insuffisance de mes réponses verbales, qui me réduisait à l’impuissance et finalement à un accompagnement de plus en plus silencieux » (p. 79).

Pour ceux qui ont pu l’expérimenter, cette difficulté se révèle cependant être un piège, un leurre. Il y a beaucoup à gagner à pouvoir sortir de ses références déjà acquises et à partir à la recherche de ce qui n’est pas encore connu. « L’être humain perceptible au travers de la thérapie n’est pas parfait. Il est bien plutôt perfectible » (p. 50). Ce constat, dont la portée va bien au-delà du cadre thérapeutique, peut être mis en œuvre à condition d’accepter la réalité de cette imperfection. Au stade actuel de notre évolution, il se peut même que « le défi fait à une Société devenue Monde, aussi bien qu’à chacun, reste visiblement celui de braver les erreurs pour progresser et apprendre » (p. 40). Au-delà de cet obstacle se trouve la découverte qu’il y a tant à prendre de ses erreurs, qui « appellent non pas une culpabilisation erronée mais une positive évaluation » (p. 36), qui demandent non pas de se tourner vers l’arrière mais d’aller vers l’avant.

La pratique juste de la thérapie centrée sur le client doit répondre à ces critères, pour le thérapeute comme pour le client. Ce faisant elle trace une voie étonnante, qui peut paraître contradictoire : elle a un impact important, quand bien même elle n’est pas en train de vouloir l’obtenir. C’est au contraire en acceptant de ne pas en avoir qu’elle y parvient. Ainsi « la libération qui peut provenir de la thérapie est réalisée en respectant les clients en tant qu’êtres autonomes, non en en faisant des êtres autonomes » (p. 22). Son moteur est le respect de la personne et l’acceptation d’une égalité de valeur humaine, au-delà des différences et des caractéristiques de chacun.

En ce sens, elle peut servir d’exemple pour les interactions humaines, de modèle dont les fondements philosophiques et les valeurs sont transposables dans des cadres divers. Elle est « non directive » car il y a acceptation de suivre la réalité humaine dans sa complexité et sa réalité, sans vouloir l’enfermer ni la réduire. Elle n’est pourtant pas sans impact, car il ne s’agit nullement d’une neutralisation de soi, mais d’un « être avec » profondément vivant. Elle a, sans la chercher, une portée collective. « En écoutant avec acceptation tous les aspects de l’expérience du client, le thérapeute modèle la notion de l’écoute de soi. En étant acceptant, sans jugement des sentiments internes du client, le thérapeute modèle une acceptation de soi non jugeante chez le client. En étant réel, congruent et authentique, le thérapeute modèle ce genre de comportement chez le client » (p. 8). Ainsi, respecter et laisser son plein pouvoir à la personne ne revient pas à ne pas avoir d’influence. Laisser de côté son vouloir égocentrique, accepter sa réalité imparfaite sont des portes ouvertes à l’évolution. « C’est ce que l’individu fait avec ou dans cette relation qui conduit à l’empowerment » (p. 67), à la prise de pouvoir sur soi, à une plus grande perception de sa responsabilité personnelle et à une plus grande maturité.

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