ACP Pratique et recherche N°2

ACP Pratique et recherche N°2

Sommes-nous courageux? Sommes-nous prêts à regarder en face les choses comme elles sont ? À continuer à regarder lorsque ce que nous voyons nous dérange ? À passer par-dessus nos tendances à trouver que cela ne nous concerne pas, qu’il s’agit de beaucoup d’histoires pour pas grand-chose, que de toute manière nous ne pouvons rien y faire, et bien d’autres stratagèmes encore – notre créativité semblant parfois inépuisable dans ce domaine ? « Les faits sont mes amis » disait Carl Rogers, ajoutant : « J’ai l’impression d’avoir mis du temps à me rendre compte que les faits sont toujours mes amis. Chaque fois qu’un fait s’impose, dans quelque domaine que ce soit, on fait un pas vers la vérité. Et aucun mal, aucun danger, aucun malaise ne peut jamais naître de la proximité de la vérité. »[1]

Fort bien, voilà un constat susceptible de faire l’unanimité, seulement lorsque ce n’est pas de l’autre, ni de théorie, mais bien de soi qu’il s’agit, quelle valeur concrète ce constat a-t-il alors ? Lorsque les « marques de l’esclavage et de la colonisation » (p. 6) ne sont pas une réalité historique mais un vécu actuel, dans une région francophone, sommes-nous prêts à entendre sans déformer ? Ces faits seront-ils encore nos amis ? Lorsqu’un texte écrit dans un style très personnel (p. 18) nous bouscule, peut-être, saurons-nous le lire vraiment et prendre le risque d’une remise en question ?

Car si les faits sont nos amis, ils ne nous plaisent pas forcément pour autant, ils ne sont d’ailleurs pas là pour ça, ce ne sont que des faits ! La remise en question de soi peut être une belle chose, c’est même certainement un facteur d’évolution, le contraire signifiant immobilisme. Mais ce n’est assurément pas chose facile, ce qui est remis en question étant souvent ce que nous avions espéré maintenir stable, dans le confort du connu, ce dont nous avions espéré faire nos repères…

En ce sens, la démarche thérapeutique nécessite toujours du courage, consciemment ou inconsciemment. Le courage tout d’abord de s’ouvrir à un autre être humain, avec toutes les questions que cela pose : serais-je accepté(e) comme je suis, aurais-je le droit d’exister avec tout ce que je suis face à cet autre, à avancer comme je suis et non comme lui ou elle voudrait que je sois ? Le courage ensuite de se retrouver confronté à soi-même, à son organisation personnelle et à l’équilibre (sain ou moins sain, supportable ou moins supportable) qui en découle, et dont on ne peut jamais savoir à l’avance ce qu’il s’ensuivra si l’on y touche.

Aux premières questions, l’attitude dite non-directive ou centrée sur la personne veut répondre oui, dans sa philosophie (pp. 57-74) comme dans sa pratique (pp. 75-89). Oui, pour

autant que le thérapeute ait… le courage de cette attitude. Il est, dans l’idée, relativement facile de penser « votre vie vous appartient », cela devient une tout autre chose face à un être humain qui se pose véritablement des questions à ce propos, qui est dans une phase d’autodestruction, dont personne ne sait quand ni s’il arrivera « au fond du gouffre » et entamera la remontée. Dans ces moments-là il n’y a plus que soi-même, et aucune réponse pour l’autre, sauf à se retrancher derrière des affirmations d’expert, auto rassurantes et assurément théoriques.

Alors il faut du courage, le courage de ne pas savoir, de ne pas avoir de réponse toute faite. Et pour accompagner ce courage il faut de la rigueur, du professionnalisme, pas de celui qui affirme déjà savoir comme on le prétend si souvent, mais de celui qui sait qu’il a tant à apprendre encore. Les faits sont nos amis, encore faut-il partir à leur recherche, à la recherche de la vérité, avec le constant travail de remise en question que cela implique (pp. 24-50 et 51-56). Et là aussi, là encore, il est facile de « se tricher » soi-même, de démontrer que l’on a un «mauvais client » en psychothérapie, un « mauvais élève » dans sa classe, qui ne cherche qu’à provoquer, un « mauvais » résident en institution, et ainsi de suite.

Il est plus bousculant d’admettre que « j’ai raté un client» (p. 46), pourtant ce peut être cela le fait. Un de ces faits que l’on est tenté d’ignorer – il est si aisé de se trouver de bonnes raisons pour cela –, un de ces faits qui dérangent, perturbent, vexent… et qui pourtant restent et resteront résolument des faits.

Mais si nous avons le courage, le courage et la volonté d’aller jusqu’au bout, de ne pas se satisfaire d’une demi découverte, d’un « demi aveu » (à soi-même), de poursuivre jusqu’à la vérité, peut-être y a-t-il là un univers à découvrir. Il est des circonstances où le « travail de mémoire » concerne le passé (p. 17), il en est beaucoup d’autres où nous pourrions tenter un tel « travail » avant qu’il ne relève du passé, et ainsi avoir la force, la sagesse ou l’impudence ne pas ouvrir les yeux et découvrir les faits longtemps après, mais en continu, au (presque) présent. Qui sait le gain que cela peut apporter ?

Assurément, seul(e) celui ou celle qui l’aura expérimenté…

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